jeudi 6 février 2014

Santiago de Compostela, chef d'œuvre de marketing


Dans ces temps de mondialisation, de tourisme de masse et de nouvelle spiritualité, le chemin de St. Jacques connaît un succès fou. Jamais dans les presque deux mille ans depuis sa mort, le dénommé Jacques de Zébédée n'aura été si populaire. Mais que fout-il en Espagne, et pourquoi faut-il faire un pèlerinage à Santiago? La réponse n'est pas à chercher dans la bible mais plutôt dans les aspirations politiques du Royaume des Asturies sous le règne d'Alphonse II, c'est-à-dire entre 791 et 841.



A cette époque-là, la péninsule ibérique est occupée en grande partie par les maures venus du nord de l'Afrique en 711. Or ceux-ci ne se donnent jamais la peine de conquérir le rude nord de la péninsule, difficilement accessible et économiquement négligeable. Ceci s'avère comme grande erreur tactique, car c'est justement dans cette zone où commencent à s'établir les nouveaux royaumes chrétiens, dont celui des Asturies.

Au fur et à mesure que ces royaumes augmentent leurs effectifs (ils sont terre d'accueil pour des chrétiens du sud de la péninsule qui fuient la domination musulmane), ils commencent à cultiver de nouvelles aspirations politiques et territoriales. Avec plus de gens, ont a besoin de plus de place: C'est le début de la reconquista.

Encore faut-il une bonne raison pour pouvoir commencer une guerre, même si la reconquista n'en est pas vraiment une, il s'agit à ce stade plutôt d'une série d'escarmouches. Bref, toute action belliqueuse requiert un prétexte - même au Moyen-Age. Et pas besoin de chercher midi à quatorze heures - tout ce qu'il faut, c'est un signe céleste, ce qui est arrivé aussitôt et de manière fort opportune sous forme de la "découverte" de la tombe de l'apôtre St. Jacques à Iria Flavia (aujourd'hui: Padrón) dans les années 820.

Padrón, avant-dernier repos de St. Jacques. Source: urban.es

Puisque sa tombe se trouvait sur la péninsule, St. Jacques avait dû évangéliser ce territoire, qui par conséquent revenait de juste droit aux chrétiens et non pas aux maures. Reconquérir le territoire perdu aux maures, ce n'était donc pas de l’expansionnisme, c'était accomplir la volonté de St. Jacques. Voilà ce qu'on peut qualifier comme un cas classique de manipulation de l'hagiographie à des fins politiques - ce qui arrive assez fréquemment dans l'Histoire.

Une fois les maures battus, l'histoire aurait pu s'en finir là. Mais comme toutes les belles histoires, elle s'est répandue, les gens ont fini par y croire, et la tombe de St. Jacques commence à attirer des pèlerins dès la fin du Xe siècle. Au début du XIe siècle, le camino atteint pour la première fois une dimension internationale grâce au grand travail de marketing du roi Sanche III de Pampelune, qui réalise une vraie mise en valeur du patrimoine culturel de son royaume. En construisant des ponts et des auberges, il parvenient à attirer les pèlerins. Mille ans plus tard ils viennent toujours, et toujours plus nombreux. Tout cela pour rendre hommage à Alphonse II et Sanche III - les experts du marketing médiéval.