vendredi 20 décembre 2013

Tapas à la médiévale


"A quelle époque a-t-on cessé de parler latin?"



Cette question fameuse, formulée par l'historien français Ferdinand Lot, est simple et complexe à la fois. Comme une langue ne change pas d'un jour à l'autre mais subit plutôt des transformations lentes et diverses à travers les générations, il y a beaucoup de thèses différentes quant à la disparition du latin et l'émergence des langues romanes. En l'absence de témoignages oraux, toutes les théories reposent essentiellement sur des traces écrites.


Bien sûr les témoignages écrits ne sont pas un reflet exact de la langue parlée à l'époque. Toujours est-il qu'ils nous indiquent le moment dans l'Histoire où la langue qu'on écrivait n'était déjà plus du latin. Car s'il est impossible de définir le moment exact de la naissance des langues romanes, les premières traces écrites de ces langues peuvent être datées assez précisément.

Les Serments de Strasbourg. Source: herodote.net
En effet, les premiers documents rédigés en ce que nous appelons aujourd'hui français, italien et espagnol apparaissent dès le IXe siècle. Pour l'italien, l'Indovinello Veronese date du tout début du IXe siècle. Il s'agit d'un énigme écrit dans la marge d'un livre de prière. Pour le français, on considère les Serments de Strasbourg de 842 le document le plus ancien rédigée dans cette langue. Ce pacte décidait du futur de l'empire carolingien et était rédigé en langue romane pour la simple raison que les soldats ne comprenaient déjà plus le latin. D'ailleurs on avait déjà décidé en 813, lors du Concile de Tours, que les homélies devaient désormais être lues en langue romane et non plus en latin, "afin que tous puissent plus facilement comprendre ce qui est dit".


Et qu'en est-il de l'espagnol alors? Quel est le document en langue romane le plus ancien de la péninsule ibérique? Eh bien il faut attendre jusqu'aux alentours de l'année 970 pour enfin trouver la Nodizia de Kesos - une liste de fromages. Il s'agit d'un simple inventaire des fromages d'un monastère à La Rozuela, près de León, dressé par le frère Jimeno. Etait-il conscient au moment de la rédaction qu'il était en train de réaliser un acte historique et que sa liste de fromages perdurerait dans le temps pour être objet de débats scientifiques mille ans plus tard? On imagine que non. Et même si les débats autour de la Nodizia et des origines de la langue romane n'aboutiront jamais à une conclusion, nous savons aujourd'hui au moins deux choses avec certitude: déjà au Moyen Age on écrivait des bêtises dans les manuels et on aimait bien se faire une petite tapa de queso de temps en temps.

La Nodizia de Kesos. Source: nosolodeyod.com

La Nodizia de Kesos est aujourd'hui conservée dans les archives de la cathédrale de León, mais malheureusement elle n'est pas exposée.



Source: BUSTOS TOVAR, José (2004): “La escisión latín-romance. El nacimiento de las lenguas romances: el castellano”, en R. Cano (coord): Historia de la lengua española. Barcelona: Ariel, 257-290.

La cathédrale de León