mercredi 4 décembre 2013

Nous disions donc: Hier.

Souvent ce sont les petites anecdotes qui restent avec nous. On oublie les dates importantes, les noms des traités, l'ordre des rois. Par contre on retient les petites histoires qui font l'Histoire, qui ne servent strictement à rien, mais qui font rire, réfléchir, ou qui sont tout simplement bizarres. Ce sont ces anecdotes, ces histoires espagnoles, que je vais essayer de rassembler et de raconter sur ce blog, en commençant par une petite anecdote de la vie de Luis de León (1528-1591).




Pour les aficionados de la littérature espagnole ce n’est pas un inconnu, puisque c'est un des écrivains les plus importants de la Renaissance espagnole. Grand poète et humaniste, il était aussi une des victimes les plus fameuses de l’Inquisition.


Le contrôle absolu de tout ce qui est écrit, lu et dit n’a pas été inventé par George Orwell, ni par la NSA. Tout cela existait déjà, dans un degré de perfection absolument remarquable, dans l’Espagne du 15e siècle. L’Inquisition était un appareil exceptionnellement efficace,  "le meilleur auxiliaire de Léviathan" (B. Bennassar).  On contrôle les imprimeries, les librairies et les navires pour éviter qu'aucun livre dangereux ne soit produit, importé ou vendu. Rien n’échappe à cette police idéologique, qui est très en avance sur son temps : à cette époque, l'Inquisition est le seul organisme en Europe capable de contrôler un si grand territoire d'une manière si méticuleuse.

Statue de Luis de León à Salamanque
Cette efficacité visait aussi bien le peuple analphabète que les intellectuels et les cléricaux, ce qui à l'époque revenait souvent au même. C'était aussi le cas pour le moine augustin Luis de León. Son exemple est symbolique pour la ferveur des inquisiteurs, puisqu'on le jette en prison rien que pour avoir douté de la fidélité du texte de la Vulgate (version latine de la bible) à l’hébreu. Son cas est exemplaire pour cette "formidable contre-propagande envers le livre" (Bennassar) que pratique l'Inquisition: "Pendant 200 ans on a répété aux Espagnols que le livre est un produit dangereux, de la dynamite, à manier avec précaution. Et il est bien possible qu’on les ait convaincus. C’est là le plus grave". A part les autodafés, peut-être.


Pourtant aussi bien autrefois comme aujourd'hui il y a des gens qui luttent à leur manière contre Léviathan. Luis de León était de ces gens. Après avoir croupi cinq ans en prison, il est enfin libéré quand il rétracte quelques propositions mineures. Toujours décidé à ne pas se laisser subjuguer par les contraintes idéologiques, il reprend sa chaire de philo à l'Université de Salamanque et commence son premier cours, comme si de rien n'était, par un simple « Nous disions donc hier... ». Comme pour Galilée, on ne sait pas s'il a vraiment prononcé ces mots ou si ce n'est qu'une légende... mais en tout cas, ça fait pour une belle histoire.


Source:

BENNASSAR, Bartolomé, « Le pouvoir inquisitorial », L’inquisition espagnole (XVe-XIXe siècles), Pluriel, Hachette, Paris, 1979, p. 71-87.

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