vendredi 25 avril 2014

Le sébastianisme - une histoire portugaise




Chaque culture a ses légendes, ses mythes et ses héros. Souvent ces légendes sont liées à des faits historiques et utilisées dans des buts politiques, comme dans le cas de St. Jacques de Compostelle. Mais surtout, ce sont des belles histoires. C'est notamment aussi le cas d'un des héros du Portugal: le roi Dom Sebastião.

Pour comprendre l'histoire de Dom Sebastião, on doit remonter jusqu'à avant sa naissance. Le 2 janvier 1554, deux semaines avant sa naissance, meurt son père. Le Portugal se trouve alors sans successeur au trône et la dynastie d'Aviz risque de s'éteindre. La couronne passerait alors au cousin le plus proche, Philippe II d'Espagne, ce qui signifierait la fin de l'indépendance du Portugal. Seul Dom Sebastião peut sauver le Portugal. Le royaume entier prie pour lui. Quand il naît enfin le 20 janvier - jour de la St. Sébastien - c'est l'arrivée d'un nouveau messie.

Pendant toute sa vie, Dom Sebastião sera vénéré comme un Dieu. Les avis diffèrent sur son état mental (il y avait notamment de forts liens de consanguinité dans sa famille), mais il est sûr qu'un tel culte autour de sa personne ne pouvait être bénéfique pour le jeune roi. Porté par une confiance démesurée et sa conviction de ne jamais pouvoir se tromper, Dom Sebastião se lance dans la conquête de l'Afrique du Nord, une aventure qui aura des conséquences désastreuses. Il est tellement convaincu de sa victoire glorieuse qu'il accompagne ses troupes et participe en personne à la bataille. Le 4 août 1578, il tombe lors de la Bataille des Trois Rois (à Ksar-el Kébir au Maroc), à l'âge de 21 ans.

La Bataille des Trois Rois a obtenu son nom du fait que trois rois y sont tombés: deux sultans marocains et le roi du Portugal. Or, on ne l'appelle pas ainsi au Portugal, où elle est connue sous le nom de Batalha de Alcácer-Quibir. La raison est simple: personne n'avait vu Dom Sebastião mourir. Il fallait donc en conclure qu'il était encore en vie et qu'il avait seulement disparu, mais qu'il pourrait revenir à tout moment. La légende du Encoberto, du roi caché, était née.

Le fait que personne ne voulait avoir vu Dom Sebastião mourir n'est pas surprenant. Les portugais avaient perdu la bataille, et le fait d'avoir voir mourir son roi sans le venger jusqu'à la mort serait une honte absolue. En plus, Dom Sebastião n'avait pas d'enfants - sa mort revenait donc à la mort du royaume portugais. En effet, deux ans après la défaite d'Alcácer-Quibir, le Portugal est annexé par le royaume d'Espagne. C'est alors que le sébastianisme commence à se répandre, et Dom Sebastião devient le symbole de l'indépendance perdue. Un matin, par temps de brouillard, il reviendrait sur un cheval blanc pour libérer le Portugal et conduire le pays vers de nouvelles gloires.

Graffiti anarchiste: "Il n'y a pas d'élections! Dom Sebastião revient."
Source: abril-de-novo.blogspot.fr


Le mythe se base en grande partie sur des prophéties faites au XVIe siècle par Gonçalo Annes Bandarra, un cordonnier de la ville de Trancoso. Et bien que le Portugal regagne son indépendance en 1640, le mythe du retour de Dom Sebastião survit et atteint même des dimensions tout à fait étonnantes. Au XVIIe siècle, il est incorporé dans l'idéologie du "Quinto Império", le royaume chrétien universel que construiraient les portugais sous les ordres du roi Dom João IV. Il ressurgit aussi pendant les crises du XIXe siècle, notamment pendant l'invasion du Portugal par les troupes de Napoléon en 1807. Au XXe siècle, Dom Sebastião n'est plus que le sauveur du Portugal, mais devient aussi une figure messianique au Brésil. Deux mouvements contestataires contre la République Brésilienne (proclamée en 1889) se réclament d'idéologie sébastianiste: la Guerre de Canudos (1897) et la Guerre du Contestado (1912-1916). Aujourd'hui, l'image du sébastianisme est parfois utilisée par des politiciens portugais dans le contexte de l'économie nationale, qui serait en train d'attendre une solution magique à ses problèmes, comme le retour de Dom Sebastião.

Enfin, le sébastianisme n'est pas seulement un élément politique, mais aussi un thème récurrent dans la littérature portugaise. Déjà Luís de Camões, un contemporain de Dom Sebastião, avait dédié son poème épique "Os Lusíadas" (Les Lusiades) au jeune roi. Le plus grand poète portugais du XXe siècle, Fernando Pessoa, rédige une partie de son recueil "Mensagem" (Message) sur  L'Encoberto. Plus récemment, on trouve des romans comme "O Desajado" (2002) du brésilien Aydano Roriz, "Dom Sebastião e o Vidente" (2007) de Deana Barroqueiro, ou encore "A Vida Secreta de Dom Sebastião" de Sónia Louro. L'histoire de Dom Sebastião a même suscité l'intérêt d'artistes français comme Paul Foucher, qui écrit la pièce de théâtre "Don Sébastien de Portugal" (1839). Il existe aussi un opéra basé sur cette pièce, créé par Gaetano Donizetti et Eugène Scribe.




E até lá, Portuguezes! trabalhae.
Que El-Rey-Menino náo tarda a surgir,
Que elle ha-de-vir, ha-de-vir, ha-de-vir!

-Despedidas (1902), António Pereira Nobre


LABOURDETTE, Jean-François: Histoire du Portugal, Fayard, 2000.